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Biographie

Raymond Normand naît le 14 novembre 1919 (le même jour et le même mois que Claude Monet, dira-t-il plus tard en plaisantant) à Auby, petite localité industrielle du département du Nord située non loin de Douai, dans une plaine basse arrosée par le canal de la Deûle. Il est le second enfant de Maria Duhem et de Just Normand qui ont déjà une fille, Jeanne, de cinq ans son aînée. Son père, mineur jusqu’à la guerre de 14-18, en est revenu mutilé mais parvient encore à travailler comme électricien. Raymond passe une partie de son enfance à Flers-en-Escrebieux, à quatre kilomètres de sa ville natale, dans un plat pays marécageux à la fois agricole et minier. C’est pourtant dans ce décor triste et pluvieux qu’il se rappellera avoir connu les meilleurs moments de sa vie au contact de la nature, de la vie paysanne et des animaux domestiques.

Par ailleurs, l’enfant manifeste très tôt une passion dévorante pour le dessin et la peinture. Ses maîtres lui achètent des crayons et du papier à dessin pour lui permettre de donner libre cours à son jeune talent. De retour à Auby, il fréquente le lycée et l’Ecole des Beaux-Arts de Douai où, très vite remarqué pour ses dons artistiques, il reçoit de nombreux prix. Mais en 1934, dans sa quinzième année, il doit interrompre ses études, atteint d’une ostéomyélite invalidante qui le cloue au lit pendant deux ans et, à l’issue de plusieurs interventions chirurgicales, lui laissera des séquelles pour le restant de ses jours. De cette période date son goût prononcé pour la lecture. Après sa convalescence, il renonce à poursuivre sa scolarité au lycée pour continuer sa formation artistique aux Beaux-Arts de Douai. Il obtient alors la médaille d’or à une exposition de Lille.

Cependant l’état de santé de leur fils incite ses parents à l’emmener dans le Midi, alors que leur fille Jeanne mariée reste dans le Nord. La famille s’installe à Marseille en 1937 et, jusqu’en 1941, Raymond suit les cours de sculpture et de dessin à l’Ecole des Beaux-Arts de cette ville, avec notamment César comme condisciple. Il est alors proposé pour un séjour à la prestigieuse Villa Médicis, à Rome, mais il décline cette offre pour raison de santé. Puis il exerce divers « petits boulots » (confection de santons, de pots pour crèmes de beauté, de sculptures pour façades d’immeubles…), tandis que César se reconvertit dans le commerce de bois et l’auto-école avant de « monter » à Paris. Les deux artistes resteront en relation en dépit de la célébrité du sculpteur et de l’évolution différente de leur art.

En 1943, au titre du Service du Travail Obligatoire (STO), il est envoyé en Allemagne où, vu l’état de sa jambe, il est affecté dans un bureau. Revenu en France, il travaille chez des paysans et garde des troupeaux de chèvres à Lambesc au quartier de « Bonrecueil », près de Salon-de-Provence, la famille habitant à Grans à proximité de la « Fontaine Marie-Rose ». C’est à cette époque qu’il découvre, comme avant lui Vincent Van Gogh dans la campagne arlésienne, la splendeur de la nature provençale si différente du morne et plat pays de son enfance. Dès lors, sur les traces des Impressionnistes, il n’aura de cesse de fixer sur sa toile les vibrations de cette lumière et de ces couleurs qui éblouissent l’homme du Nord qu’il est resté.

En 1950, il s’établit avec ses parents non loin d’Aix-en-Provence, à Ventabren, où il pourra, en compagnie de ses chèvres et de ses chats, se consacrer exclusivement à son art pendant cinquante ans, jusqu’à la fin de ses jours. Au milieu des pins et des oliviers, il construit avec son père une petite maison dans un coin retiré, au pied du village, au quartier du « Trou du Loup ». Tous deux fabriquent eux-mêmes les briques qui servent à la construction et transportent à dos d’homme l’eau nécessaire qu’ils vont chercher dans l’Arc. Ils creusent un puits et installent des citernes pour recueillir l’eau de pluie qui sera utilisée pour les besoins domestiques. La demeure restera longtemps sans eau courante ni électricité. Un atelier proche de la maisonnette permet au peintre de s’isoler dans son univers. Les deux hommes cultivent leur jardin qui assure aux trois membres de la famille une alimentation presque entièrement végétarienne agrémentée de l’huile de leur oliveraie, du vin de leur vigne et du lait de leurs chèvres. Et c’est dans cette paisible retraite que Raymond pourra, d’abord d’après nature, puis plus tard quand l’âge limitera ses déplacements d’après des croquis relevés jadis sur le terrain, bâtir jour après jour une œuvre remarquable à plus d’un titre.

Ses dons pour la sculpture transparaissent aussi bien dans ses peintures d’oliviers et d’amandiers séculaires aux troncs noueux, de pins tourmentés par le mistral que dans ses encres de Chine vouées aux mêmes thèmes. Mais dans celles-ci, la sûreté et la finesse du trait traduisent également le talent d’un dessinateur hors pair. Normand est surtout un paysagiste dont la palette variée, tour à tour délicate, vive, voire violente au gré de ses états d’âme, restitue, au rythme des saisons et aux diverses heures du jour, les frémissements de la lumière et de la vie au coeur d’une nature tantôt vierge et saisie dans sa pureté originelle, tantôt modelée au fil des siècles par le labeur des paysans d’autrefois et encore préservée de l’urbanisation à venir. A travers ses huiles au pinceau ou au couteau, ses pastels secs ou gras à l’huile, ses encres de Chine à la plume ou au bâton, ses lavis, ses fusains, on passe de la campagne de Lambesc ou de Grans et des bords de la Touloubre au village de Ventabren et à ses environs, aux rives de l’Arc, aux collines vallonnées traversées de chemins solitaires, aux plaines ponctuées de fermes ou de vieux cabanons, plantées de blé, d’oliviers, d’amandiers, de vignes, de quelques cyprès, parfois éclairées de coquelicots, d’arbres fleuris au printemps ou dorés à l’automne. Ses ciels disent la morsure des hivers sous le mistral, la brûlure du soleil et la torpeur des étés, la paix du soir retrouvée dans l’embrasement du couchant. Mais il peint aussi, outre des autoportraits, sa mère, son père, sa famille, des amis dans des portraits saisissants de ressemblance, ses animaux familiers (chats, chèvres et chevreaux), de grandes compositions bucoliques peuplées de personnages irréels, parfois quelques caricatures…

Sa vie se partage entre la peinture sur le motif ou à l’atelier, la lecture, la musique qu’il écoute à la radio, avec les nouvelles, d’abord sur un antique poste à galène puis sur un transistor, les travaux de jardinage et l’entretien de la propriété. Il monte régulièrement au village par le rude « chemin de Lacan » pour aller emprunter des livres au bibliobus ou à la bibliothèque municipale. Il s’enrichit ainsi d’une très vaste culture qui nourrira les longues discussions avec ses visiteurs. En effet, bien qu’éloigné du monde, il ne reste jamais longtemps seul car il vit en compagnie de sa mère et de son père qui ne disparaîtront respectivement qu’en 1974 et 1978. Par ailleurs sa soeur, à sa retraite, se retirera avec son mari pendant vingt ans à Ventabren et l’entourera d’affection, avant de repartir en 1993 finir sa vie dans le Nord auprès de ses enfants. D’autre part nombreux sont les amis qui, de tout temps, se rendent chez lui. Ils arrivent de tous les horizons géographiques et professionnels. Il y a d’abord ses anciens camarades des Beaux-Arts, puis ses amis du voisinage et tous ceux qui viennent d’Aix et de Marseille ainsi que de l’ensemble du département, du Var, du Vaucluse, des Alpes, voire de plus loin encore pour de longues stations dans l’atelier suivies d’échanges passionnés autour du poêle à bois lorsqu’il fait froid, à l’ombre de la treille ou sous les figuiers lorsque le temps est beau et chaud. On parle de tout : de l’actualité et de l’évolution du monde, de la fuite du temps, des travaux des champs, des animaux, de littérature et d’histoire, de sculpture et de peinture, de musique, de religion, de philosophie… Les thèmes abordés varient selon l’humeur du moment, les centres d’intérêt ou la profession de chacun: instituteurs ou professeurs, agriculteurs ou bergers, médecins ou ingénieurs, universitaires ou étudiants, ouvriers ou artisans, architectes ou sculpteurs, potiers ou poètes, santonniers ou peintres qui sollicitent des conseils, musiciens qui ont parfois apporté leurs instruments pour un récital impromptu… Et l’heure du départ sonne toujours trop tôt à l’horloge du logis. Le plus souvent il fait nuit quand il faut se quitter. On repart toujours enrichi par la largeur de vue de cet hôte singulier, réchauffé par la chaleur de son accueil, encore fasciné par la beauté de ses oeuvres. Et lorsqu’on s’en va avec l’une de celles-ci, il a fallu préalablement négocier pied à pied avec lui pour lui faire accepter de ne pas la céder à un prix dérisoire ou de ne pas l’offrir simplement par pure amitié. Par ailleurs nombre d’acheteurs de l’Hexagone ou de l’étranger se présentent au « Trou du Loup » et des œuvres partent pour la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, l’Amérique, l’Afrique, l’Océan Indien… Car sa réputation n’est pas négligeable même s’il ne recherche pas la célébrité.

Dans les années 60, sous la pression de ses amis, il expose parfois dans son village d’adoption, aux Amis des Arts ou au Syndicat d’Initiative d’Aix-en-Provence, chez des antiquaires et dans des galeries d’art de Marseille, dans le Lubéron, dans le Var… Les critiques sont toujours élogieuses, sans la moindre flagornerie ni esprit de convenance, comme le montrent les articles publiés sur ce site. De nombreux artistes et amateurs d’art lui vouent une vive admiration : le sculpteur César, des parents du peintre provençal Joseph Ravaisou, l’historien et collectionneur de photographies Michel F. Braive, le peintre américain James N. Rosenberg… Cependant l’homme reste modeste malgré son grand talent. Surtout il se refuse à tout ce qui pourrait forcer le succès.

Il décède le 12 mars 2000 à Aix-en-Provence, ayant légué ses biens et son œuvre à la mairie de Ventabren, et il repose au cimetière de ce village. Sa vie ressemble étrangement à celle des peintres maudits qui n’ont trouvé la consécration qu’au-delà du miroir trompeur des vanités du monde.

© Colette DIJOUX, juin 2008.

Ventabren dans les années 50