La découverte – grâce à vous – du peintre Raymond Normand a été pour moi une révélation. J’avoue que je l’ai abordé avec un peu de scepticisme : un inconnu, sans doute amateur, faisant des resucées faciles des courants à la mode, à coup sûr mineur. Et puis ce fut la surprise de découvrir un vrai peintre pour qui la peinture a été la grande affaire, exclusive, de toute une vie, un sacerdoce de plus de cinquante ans ; un vrai, un grand, capable de vous émouvoir en profondeur, de vous transporter en enchantement. Car je suis vite passé de l’intérêt artistique à l’émotion. Et je suis émerveillé de cette découverte qui n’arrive pas tous les jours. Car voilà une oeuvre considérable – plusieurs centaines de tableaux – absolument homogène dans sa variété que je ressens comme une appropriation, une intériorisation par le peintre d’un environnement immédiat : un univers aux dimensions du regard sédentaire. Bien sûr quelques oeuvres sont des échappées mais l’essentiel est la peinture d’une Provence familière, toujours recommencée, avec d’infinies nuances de lumière, réduite le plus souvent aux dimensions de son jardin. Comment ne pas penser à Giverny avec presque autant de maîtrise technique de la lumière et de l’atmosphère que Monet? Peu de vastes panoramas, reliefs estompés, paysages immédiats, arrière-plans fondus, lignes simples à dominantes horizontales, c’est une Provence adoucie, presque rêvée, qui s’offre à nous sous son pinceau. Raymond Normand n’est pas un paysagiste de la forme mais de la lumière dans une tonalité rarement violente mais douce, presque pastel qui donne une impression de tranquillité ; force tranquille d’un paysage apaisé, peinture intimiste de sa Provence sans violence. Sans violence, non, car il y a l’Arbre. Aux lignes horizontales du paysage s’opposent des lignes verticales presque exclusivement réservées au thème de l’arbre – plus précisément les oliviers de son jardin – égrené comme un chapelet tout au long de son oeuvre. Nous sommes au royaume de l’arbre. Des dizaines et des dizaines de toiles nous montrent ces oliviers – les troncs de ses oliviers qui se dressent en premier plan ou tout seuls, déchiquetés, violents, souffrants comme des corps humains. Les arbres sont ses personnages. Les troncs s’étirent, se tordent comme des corps de douleurs. A la douceur du paysage s’oppose la violence des troncs d’arbre : la souffrance de l’homme dressé sur le monde. Le traitement des arbres est en contraste avec celui du paysage : aux formes adoucies de la terre s’opposent des couleurs dures, froides – jusqu’au noir – des troncs. Cet homme, présenté comme simple et apparemment en paix, devait porter en lui une sorte de révolte car je vois des corps suppliciés dans ces troncs déchiquetés. La force qui tourmente ses arbres – le Mistral – répond-elle aux forces maléfiques qui nous tourmentent? L’oeuvre de Raymond Normand ne se contente pas de me charmer, elle me parle de moi et je salue un grand artiste. Je formule pour finir un souhait. Comme cette oeuvre est presque entièrement en main privée et appelée à se disperser, l’Association des amis du peintre ne pourrait-elle pas envisager un DVD – à défaut d’un livre – qui complèterait le site internet?